Exception d'inexécution dans les baux commerciaux : puis-je suspendre le paiement du loyer si le bailleur ne fait pas les travaux ?
Face à un bailleur qui ne réalise pas les travaux dans les locaux loués, la tentation de suspendre le paiement du loyer peut être forte pour le locataire commercial. Pourtant, la législation et la jurisprudence imposent des conditions strictes à l’exercice de l’exception d’inexécution dans le cadre d’un bail commercial. Cet article vous explique, avec clarté et rigueur, dans quels cas il est possible – ou non – de suspendre le paiement du loyer, et quels sont les risques encourus en cas de manquement à la procédure.
Les obligations respectives du bailleur et du locataire dans un bail commercial
Le bail commercial est un contrat synallagmatique : chaque partie a des obligations réciproques et essentielles. Le bailleur doit délivrer au preneur la chose louée en bon état, les entretenir et garantir la jouissance paisible des lieux (article 1719 du Code civil). Ce devoir d’obligation de délivrance implique qu’il doit effectuer les travaux nécessaires pour que le local commercial soit conforme à la destination du bail. Le locataire, de son côté, doit payer son loyer conformément aux termes du bail (article 1728 du Code civil) et utiliser les locaux conformément à la destination prévue.
L’obligation essentielle du bailleur : délivrance, entretien et jouissance paisible des locaux loués
Le bailleur est tenu d’assurer que les locaux sont en état de servir à l’usage prévu au contrat et doit effectuer les travaux nécessaires à cet effet. Depuis la loi Pinel, il ne peut plus mettre à la charge du locataire les grosses réparations prévues à l’article 606 du Code civil pour les baux conclus ou renouvelés après le 5 novembre 2014. Cette obligation vise à garantir la jouissance paisible des lieux loués.
Dans le cas d’un litige avec le bailleur, notamment lorsque le bailleur ne fait pas les travaux, le locataire doit rappeler la base légale de ses demandes et démontrer l’inexécution de l’obligation de délivrance. Il est fréquent que la vétusté des locaux ou la vétusté de la façade soit à l’origine du conflit. Toutefois, la cour de cassation rappelle que la vétusté seule ne suffit pas à justifier une dispense intégrale de paiement des loyers, sauf si elle a rendu les locaux totalement inexploitables.
L’obligation du locataire : payer le loyer et utiliser les locaux conformément à la destination
Le paiement du loyer est une obligation essentielle du locataire commercial. Le locataire doit également utiliser les locaux conformément à la destination contractuelle du bail. En cas de défaut de paiement, le bailleur peut activer la clause résolutoire, après un commandement de payer resté infructueux pendant un mois. L’action en paiement est alors ouverte au bailleur, qui peut engager un recours judiciaire pour obtenir la résiliation du bail ou l’expulsion du locataire.
L’exception d’inexécution : conditions et portée juridique
La notion d’exception d’inexécution, prévue à l’article 1219 du Code civil, permet à une partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne. Toutefois, en matière de bail commercial, l’application de l’exception d’inexécution est très encadrée par la jurisprudence. Ainsi, la chambre civile de la cour de cassation rappelle régulièrement que seule une inexécution suffisamment grave du bailleur à ses obligations permet au locataire de suspendre le paiement des loyers.
La notion d’exception d’inexécution trouve ses racines dans l’article 1219 du Code civil, mais son application pratique en matière de baux commerciaux est beaucoup plus restrictive que dans d’autres contrats. Le juge vérifie la proportionnalité du manquement et la gravité de l’atteinte à la jouissance des locaux.
Conditions strictes pour justifier la suspension du paiement du loyer
- que le manquement du bailleur porte sur une obligation essentielle (délivrance, entretien, jouissance paisible) ;
- que ce manquement a rendu les locaux totalement inexploitables ou impropres à leur destination du bail ;
- que l’inexécution est suffisamment grave pour justifier la suspension du paiement.
Jurisprudence récente sur l’exception d’inexécution et le paiement du loyer
La jurisprudence de la Cour de cassation est constante : seul un manquement grave du bailleur, rendant impossible l’exploitation des locaux loués, justifie la suspension du paiement du loyer. L’arrêt du 10 octobre 2024 (Cass. 3e civ., n° 22-24395) en est une illustration parfaite. Dans cette affaire, le locataire invoquait la vétusté de l’immeuble pour suspendre le paiement. La Cour de cassation a rejeté sa demande, considérant que la simple vétusté des locaux ne suffisait pas dès lors que le locataire pouvait continuer à exploiter les locaux, même partiellement.
La distinction entre impossibilité totale d’exploiter les locaux et simple gêne ou trouble partiel est fondamentale : seule la première permet une suspension du paiement du loyer, la seconde pouvant au mieux justifier une réduction de loyer ou des dommages-intérêts.
Cas pratiques illustrant la jurisprudence
Voici un tableau synthétique des grandes tendances jurisprudentielles :
Le rôle de la jouissance paisible et de la destination contractuelle des locaux dans l’exception d’inexécution
Le juge contrôle la proportionnalité du manquement du bailleur et son impact sur la jouissance paisible des locaux. Si les locaux restent utilisables, même partiellement, la suspension du paiement du loyer n’est pas justifiée. La destination du bail est un critère déterminant : il faut démontrer que les locaux ne peuvent plus être utilisés conformément à l’activité prévue. L’action en paiement du loyer reste alors ouverte au bailleur.
Comment justifier le défaut d’entretien ou de travaux par le bailleur
Le locataire doit informer le bailleur des désordres constatés, puis lui adresser une mise en demeure d’exécuter les travaux. En l’absence de réaction, il pourra saisir la justice pour demander, selon la gravité du manquement, la suspension ou la réduction du loyer, voire la résiliation du bail en cas de non-jouissance totale des lieux. La base légale de cette action repose sur l’obligation de délivrance et l'obligation essentielle du bailleur à ses obligations.
Les démarches et recours du locataire face au manquement du bailleur
Avant toute suspension du paiement du loyer, le locataire doit respecter une procédure stricte :
- Informer le bailleur des désordres et demander la réalisation des travaux ;
- Adresser une mise en demeure en recommandé ;
- Saisir, en cas de litige persistant, la commission départementale de conciliation ou le juge compétent ;
- Demander, si nécessaire, la consignation judiciaire des loyers.
Les conséquences et risques liés à la suspension du paiement du loyer
La suspension du paiement du loyer sans respecter les conditions strictes posées par la jurisprudence expose le locataire à de lourdes sanctions : activation de la clause résolutoire, résiliation du bail commercial, expulsion, condamnation à payer les loyers impayés, indemnité d’occupation, et frais de procédure. La sanction manquement du locataire à son obligation de paiement peut être lourde, surtout si la cour considère que les locaux n’ont pas été rendus impropres à leur usage.
La procédure judiciaire en cas d’impayés
En cas de défaut de paiement du loyer, le bailleur doit adresser un commandement de payer. Si le locataire ne régularise pas dans le délai d’un mois, la clause résolutoire peut être activée. Le juge des référés peut toutefois accorder des délais de paiement ou suspendre temporairement la clause résolutoire, notamment en cas de difficultés avérées du locataire.
Une attention particulière doit être portée lors d’un appel de Paris ou devant toute juridiction compétente, car la jurisprudence de la chambre civile de la cour de cassation est constante : la dispense intégrale du paiement des loyers ne peut être obtenue que si le locataire parvient à prouver l’impossibilité totale d’occuper les locaux commerciaux conformément à la destination du bail.
Conclusion : conseils pratiques pour locataires et bailleurs
En matière de baux commerciaux, la suspension du paiement du loyer au titre de l’exception d’inexécution n’est possible que dans des cas exceptionnels, strictement encadrés par la jurisprudence de la Cour de cassation. Le locataire doit prouver que le manquement du bailleur a rendu les locaux totalement inexploitables ou impropres à leur destination contractuelle. À défaut, il s’expose à une résiliation du bail et à des sanctions lourdes. Il est donc essentiel d’être accompagné par un professionnel du droit pour sécuriser ses démarches et éviter tout risque.
Pour approfondir : village-justice.com, service-public.fr
Les questions des internautes
L’exception d’inexécution en matière de bail commercial est strictement encadrée par la jurisprudence et les textes, notamment l’article 1219 du Code civil. Pour que le locataire puisse suspendre le paiement du loyer, il doit démontrer un manquement suffisamment grave du bailleur à ses obligations, en particulier l’obligation de délivrance ou d’entretien des locaux. Ce manquement doit rendre impossible l’exploitation des locaux conformément à la destination prévue au contrat de bail. La simple gêne ou la vétusté partielle ne suffit pas. La preuve de l’impossibilité totale d’exploiter les locaux incombe au locataire, qui doit documenter précisément la situation (constats, expertises, témoignages). En l’absence de cette preuve, la suspension du paiement du loyer expose le locataire à une action en résiliation du bail et à des sanctions financières.
En cas de manquement du bailleur à son obligation de réaliser des travaux indispensables, le locataire doit d’abord l’informer par écrit, idéalement en recommandé avec accusé de réception. Si le bailleur ne réagit pas, une mise en demeure formelle est nécessaire. À défaut de réponse ou d’action, le locataire peut saisir la commission départementale de conciliation, puis le juge des référés pour demander l’exécution forcée des travaux, une réduction de loyer ou, dans les cas extrêmes, la suspension du paiement. Il est fortement conseillé de ne jamais suspendre le paiement du loyer sans décision judiciaire, sous peine de voir la clause résolutoire s’appliquer automatiquement.
Suspendre le paiement du loyer sans respecter la procédure et sans décision de justice expose le locataire à des risques majeurs. Le principal danger est l’activation de la clause résolutoire du bail, qui permet au bailleur de demander la résiliation du bail et l’expulsion du locataire. Par ailleurs, le locataire peut être condamné à payer les arriérés de loyers, des indemnités d’occupation, voire des dommages et intérêts au bailleur. Enfin, une telle initiative peut nuire à la relation contractuelle et compromettre toute négociation future. Il est donc indispensable de se faire accompagner par un avocat spécialisé avant d’envisager toute suspension du paiement du loyer.
Oui, la jurisprudence s’est récemment durcie, notamment avec l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2024. La Haute juridiction rappelle que seule une impossibilité absolue d’exploiter les locaux conformément à leur destination contractuelle permet de justifier la suspension du paiement du loyer. Les désordres partiels, la vétusté ou les troubles limités ne suffisent plus. Cette exigence vise à préserver la stabilité des relations contractuelles et la sécurité juridique des parties. Les locataires doivent donc faire preuve d’une grande prudence et réunir des preuves solides avant d’invoquer l’exception d’inexécution.













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